André Campra

L'EUROPE GALANTE
PROLOGUE*

VENUS

Frapez, Frapez, ne vous lassez jamais,
Qu'à vos travaux l'écho réponde.
Pour le fils de Venus forgez de nouveaux traits,
Qu'ils portent dans les cœurs une atteinte profonde.
Frapez, Frapez, ne vous lassez jamais,
Vous travaillez pour le bonheur du monde.

CHŒUR

Frapons, Frapons, ne nous lassons jamais,
Qu'à nos travaux l'écho réponde.
Pour le fils de Venus forgeons de nouveaux traits,
Qu'ils portent dans les cœurs une atteinte profonde.
Frapons, Frapons, ne nous lassons jamais,
Nous travaillons pour le bonheur du monde.

VENUS

C'est Vulcain qui fait le tonnerre,
Dont le maître des Dieux èpouvante la terre,
Mais ce sont les Plaisirs, les Graces & les Ris,
Qui forment les traits de mon fils;
Jeunes cœurs essayez la douceurs de ses armes,
Qui s'en laisse blesser, éprouve mille charmes;

DEUX GRACES ET LE CHŒUR

Souffrez que l'Amour vous blesse,
Belles, chassez la fierté:
Apprenez que la tendresse
Est l'ame de la beauté.
Si vous voulez que les graces,
Vous accompagnent toûjours:
Pour les voir suivre vos traces
Suivez celles des Amours.

UNE GRACE

C'est dans une tendresse extrême
Qu'on trouve des plaisirs parfaits,
On n'est content que quand on ayme,
Les autres biens sont sans attraits;
Pour être heureux l'Amour luy-même,
S'est blessé de ses traits.
VENUS
Quelle soudaine horreur, & quels terribles bruits,
Ciel! qui peut amener la Discorde où je suis!

LA DISCORDE

C'est en vain qu'à tes loix tu prétens qu'on réponde
Déesse, fais cesser d'inutiles traveaux;
A quel coin reculé du monde,
L'Amour veut-il tenter des triomphes nouveaux?
Pour qui destine-t'il les traits qu'on luy prepare?
De tous côtez je le fais dédaigner;
Lorsque de tous les cœurs la Discorde s'empare,
Sur qui veut-il encor régner?
Tout ressent la fureur dont je suis animée,
A mes sanglants Autels tout vient sacrifier,
Et ton fils se voit oublier;
Je l'ay du moins banny de l'Europe allarmée,
S'il ne l'est pas du monde entier.

VENUS

Tu t'aplaudis d'une fausse victoire,
L'Amour a dans l'Europe une nouvelle gloire;
Il recueille le fruit de tes noires fureurs,
Il regne au milieu de la guerre;
Malgré tes vains efforts il rassemble deux cœurs,
Qui seront quelque jour le destin de la terre.
Le Heros qui le joint commence à dénoüer
Ce nœud que tu formas avec un soin funeste;

LA DISCORDE

C'en est assez, épargne-moy le reste,
Et ne me force pas à t'entendre loüer un Roy qui te deteste.

VENUS

Je te feray souffrir de plus cruels tourments,
Tu méprise l'Amour, Tu verras sa victoire,
Et je veux que ces lieux par divers changements,
Servent de theâtre à sa gloire;
L'Europe que tu crois attentive à ta voix,
Va chanter à tes yeux la douceur de ses loix,
Tu vas voir que des cœurs l'Amour seul est le maître.

LA DISCORDE

Ah! ne te flatte pas de m'en rendre témoin.

VENUS

Je veux te contraindre de l'estre,
Tu prends pour t'en deffendre un inutile soin.

LA DISCORDE

Puisque dans ces lieux on m'arreste,
Fureurs, secondez-moy, troublons au moins la feste;
Faisons des inconstants, des jaloux odieux!
Jettons dans tous les cœurs, les soupçons & les craintes,
Qu'on reconnoisse à mille plaintes,
Que la Discorde est en ces lieux.

VENUS

Tu ne peux exciter que de vaines allarmes,
Tu rendras mon triomphe encor plus glorieux.
Faisons regner l'Amour, faisons briller ses charmes,
Les doux plaisirs, les doux plaisirs sont ses plus fortes armes.

UNE GRACE

Ah! Que l'Amour
Prepare en ce jour
De conquestes nouvelles!
Que ses appas
Vont soûmettre de belles,
Qui n'y pensent pas!
Il va fléchir tous les cœurs rebelles,
Il va pour jamais
Les blesser de ses traits;
Que tes faveurs
Vont charmer le cœurs!
Amour, que de cruelles
Tu vas dompter!
Et que d'Amans fidelles,
Vont en profiter!
Tu vas fléchir tous les cœurs rebelles,
Tu vas pour jamais
Les blesser de tes traits;
Loin de les craindre
Cherchons leurs coups,
Quel cœur peut se plaindre
D'un tourment si doux;
Au Dieu d'Amour cedons la victoire,
Quand il nous soumet à ses desirs,
C'est moins sa gloire
Que pour nos plaisirs.

CHŒUR

Souffrez que l'Amour vous entraîne,
Cedez, cedez à ses douces ardeurs,
(Qu'il vous blesse,) qu'il vous enchaîne,
Qu'il regne à jamais à jamais dans vos cœurs.
Qu'il vous blesse, qu'il vous enchaîne,
Qu'il regne à jamais à jamais dans vos cœurs.

FIN DU PROLOGUE

 

* Transkription aus dem Original von Rolf Felbinger.